Périnatalité : une période sensible et porteuse de sens

Qu’est -ce que la périnatalité ?

La périnatalité désigne toute la période qui va de la conception aux premiers mois de la vie de l’enfant. On pourrait inclure également la période conceptionnelle et pré-conceptionnelle, car le désir d’enfant manifeste, et construit, déjà, les futurs parents. En effet les intuitions et les projections dans cette période d’attente et d’espoir peuvent se révéler signifiantes dans la future parentalité et constituent déjà un début d’écriture de cette nouvelle histoire de vie.

Deborah de l'Espinay perinatalité

Le projet d’enfant

Le projet d’enfant constitue déjà en soi une première étape dans cette période de vie qui vient remettre en questions nos schémas de vie jusqu’alors connus. Au préalable, la question du désir d’enfant est un sujet qui se dessine tout au long de la vie des femmes, bien avant que le projet soit déterminé. Certaines femmes savent, depuis toujours, qu’elles souhaitent être mères. D’autres, au contraire, avancent dans la vie avec la certitude que la maternité n’est pas un souhait. Ces visions peuvent être amenées à évoluer avec le temps, mais sont déjà significatives. Elles viennent nous parler de notre propre conception, de nos liens d’attachement précoces, de la relation que notre mère entretenait elle-même avec la maternité. C’est déjà dans ce lien au désir (ou pas) d’enfant, et à l’appréhension de la maternité qui se dit quelque chose de la mère que nous projetons d’être, ou que nous serons. Selon la neuro-psychiatre Monique Bydlowski, »Chaque femme enceinte, chaque jeune mère est un ancien nouveau-né convoqué à l’histoire de sa propre naissance« .

Comment l’enfant arrive

Du bébé surprise à l’adoption en passant par le parcours de PMA, les chemins de la parentalité prennent différentes formes. Même dans le cas d’un projet bébé murement réfléchi, et qui arrive lorsqu’on le souhaite, on n’est jamais réellement préparé à comment cet enfant va nous transformer en nous faisant accéder au statut de parent. Avec lui, nous changeons en tant qu’individu, nous acquérons une place différente dans notre groupe social, mais aussi et surtout dans notre groupe familial. Et ce, consciemment, mais aussi inconsciemment. Cet événement va faire évoluer notre rapport à nos propres parents, puisque nous changeons de place dans la famille d’origine. Mais au-delà des conséquences conscientes (la réjouissance de nos parents à être grands-parents, par exemple), dans cette période de transmission, un nouveau chapitre va s’écrire également dans l’inconscient familial. Dans ce qui se transmet de génération en génération, et qui n’est pas forcément « su » par les membres de la lignée. Comme le dit Nathalie Piquée, gestalt-thérapeute et sage-femme, « La venue d’un tout petit redistribue les cartes de l’arbre généalogique et emporte tout un chacun dans une danse systémique, d’où personne ne ressort indemne1« . Cet événement de transmission qui vient toucher la lignée peut prendre la forme d’une répétition ou encore d’une réaction à une histoire traumatique. Inexorablement, la transmission générationnelle vient bousculer, réveiller l’histoire d’une filiation. Dans son ouvrage  » Femme désirée, femme désirante« , la gynécologue Danielle Flaumenbaum rapporte de nombreux exemples de transmission de maux gynécologiques de mères en fille sur plusieurs générations.

Le bouleversement hormonal… et émotionnel

La grossesse est jalonnée de perturbations hormonales, qui provoquent des réactions émotionnelles exacerbées. Notamment en début et en fin de grossesse, qui sont des périodes particulièrement impactantes pour la future maman. Les nausées du début laissent place au divers maux et inconforts du dernier trimestre. Cependant, toutes les femmes ne sont pas égales devant à la fois l’inconfort physiologique et émotionnel que créée la grossesse. Certaines vont adorer cette état, s’épanouissant dans ce corps qui change, d’autres rencontreront des difficultés avec leur image, allant jusqu’à cacher leur grossesse. Certaines rencontreront, à cette étape cruciale de leur vie, de fortes angoisses. Mon bébé va-t-il être normal? Comment savoir si son coeur bat ? Ai-je fait quelque chose qui puisse porter atteinte à son bon développement ? Pour certaines, le simple fait d’imaginer cette vie grandissant en elle fait figure d’une responsabilité tellement écrasante que l’anxiété peut prendre le pas sur le bonheur d’être mère, par exemple. Les cauchemars et rêves étranges autour du bébé, fréquents durant la première partie de la grossesse, peuvent témoigner de ce sentiment « d’aliénation » au sens premier du terme. Vivre son corps « habité » peut-être une épreuve… La peur de donner la vie peut jouxter celle de provoquer la mort. Ici aussi, regarder comment l’on nous a transmis l’image de la grossesse, comment nous même avons été portés, dans quelles conditions, est intéressant dans un travail de soutien.

Les angoisses autour d’une grossesse qui n’est pas pathologique peuvent aussi être alimentée par un environnement et une culture vouée au « principe de précaution ». Le corps médical ( et c’est tant mieux pour la santé des futures mères) est prodigue en termes de recommandations sanitaires durant la grossesse, et les injonctions se multiplient. Le risque peut être parfois de créer des climats anxiogènes.

L’accouchement, entre vie et mort

Certaines vivront une grossesse sans entrave mais focaliseront leurs peurs sur le déroulement de l’accouchement. Encore une fois, il est intéressant de regarder quelle transmission ces femmes ont eu quant à l’état de grossesse, quels vécus de l’accouchement ont eu leurs propres mères, dans quelles conditions sont-elles nées, elle-mêmes.

L’accouchement impressionne et à raison : il constitue un moment de vie extrême, un rite de passage où se côtoient de près la vie et la mort : le risque est toujours présent, pour la mère et l’enfant, d’une complication, la douleur et la peur jouxtent la joie intense. Et les traces du déroulement de cet événement majeur dans la vie d’une femme resteront, pour elle comme pour bébé, présentes. S’il a fait l’objet de complications, s’il a été long et douloureux, s’il n’a pu être vécu comme cela était attendu, si la mère ne s’est pas sentie entourée, écoutée, soutenue, que ce soit par un conjoint ou par l’équipe médicale, cela n’est pas sans conséquence sur le vécu maternel et, à prendre en compte si des difficultés se manifestent dans le lien parent-enfant.

Même lorsque l’accouchement parait « sans histoire », il est un choc, de début d’une nouvelle vie, voire une véritable re-naissance pour la mère. Ou au contraire, il n’est pas vécu émotionnellement, la mère s’est senti absente, dépossédée. On parle souvent du  » premier regard », de l’enfant envers la mère, qui serait source de lien immédiat. Et pourtant, la rencontre avec son enfant est unique, et ne se construit pas selon un modèle pré-établi. Parfois, c’est plus tard. Parfois, c’est d’abord avec le père, parce que les conditions médicales n’ont pas permis d’établir le lien corporel avec la mère directement. L’accouchement laisse des traces, et pour autant il ne définit pas les liens futurs mère-enfant. En cas de difficultés dans la parentalité, il est à regarder comme une étape marquante, à ne pas négliger. Mais pour autant la relation parent-enfant se construit sur la durée, et n’est pas déterminée par un moment de vie, aussi fondateur soit-il.

Les angoisses du post-partum

Les variations hormonales brutales, la fatigue, le choc, autant de critères qui font que la femme, durant les premières semaines après l’accouchement, vit une période délicate. Le manque de sommeil, la fatigue de l’accouchement se mêlent aux angoisses de la prise de conscience de tant de responsabilité devant ce petit être entièrement dépendant de nous. C’est la période des « angoisses de la nuit tombée« , qui touchent à la fois le nouveau-né, qui peut être pris d’une crise de pleurs à la tombée de la nuit, et parfois aussi la jeune maman, qui re-contacte à cette occasion ses propres angoisses de bébé. La peur de ne pas être à la hauteur, l’impression d’être démuni devant un bébé qui n’arrive pas à se calmer, ou qui ne se nourrit pas correctement, l’isolement du à la fatigue et au rythme du bébé, les nouvelles responsabilités qui peuvent paraître écrasantes, sont autant de facteurs de vulnérabilité pour la mère. Certaines pourront aller jusqu’à vivre des moments d’hallucinations ou de paranoïa, montrant des états anxieux très avancés. C’est aussi une période où peut se manifester les phobies d’impulsion, où les mère vivent dans l’angoisse fantasmée et indicible de faire du mal à leur bébé. D’autres pourront être touchées par une dépression du post-partum. Cette dernière se caractérise par un sentiment de tristesse, un détachement par rapport à son conjoint ou pas rapport au bébé, des troubles du sommeil même en cas de grande fatigue.

La solitude des mères d’aujourd’hui

Les difficultés de la vie du jeune parent constituent des étapes, qui, tant qu’elles restent modérée dans leurs conséquences psychiques, sont courantes dans la constitution du statut de parent. Tout comme l’accouchement, ce passage initiatique ne se fait pas sans douleur et le stress dû à la gestion du quotidien d’un nouveau-né, avec son lot d’inquiétudes qui deviennent vite vitales, font souvent côtoyer aux jeunes parents l’angoisse. A cela s’ajoute une réalité sociétale qui touche particulièrement les couples aujourd’hui : celle de l’éclatement des familles claniques au profit de la famille nucléaire, favorisant l’isolement des jeunes parents. Les grands-mères étaient encore une génération, très reliées et impliquées dans la venue du nouveau-né, parfois même assistant à l’accouchement. Les femmes bénéficiaient d’un réseau familial serré, permettant à la fois d’avoir un relai pratique et surtout émotionnel et affectif. Aujourd’hui, les femmes témoignent de la difficulté de l’isolement en tant que jeune mère. Avec moins de soutient familial, en dehors de la société du travail et déconnectée par la fatigue et les horaires décalés, nombreuses sont celles qui ressentent une forte solitude en cette période, qui, dans les sociétés traditionnelle, fait appel au pouvoir de transmission de savoir-faire du groupe.

Les nouvelles formes familiales qui se créent, que ce soit dans le cadre de familles homoparentales ou des naissances par PMA dans le cadre de familles monoparentales peuvent accroître ce sentiment d’isolement, par rapport au cadre familial élargi plus ou moins soutenant, et, en plus, par rapport à une société qui pose encore un regard contrasté sur ces nouveaux mode de faire famille.

Une période qui favorise le contact avec les traumatismes transgénérationnels

La périnatalité constitue une période de passage, de transmission, qui peut révéler des blessures non conscientisées. Au-delà des angoisses quotidiennes de la jeune mère, certaines situations particulièrement difficiles à vivre peuvent s’exprimer par les difficultés du bébé à manger ou à dormir, par exemple. On va pouvoir regarder le bébé en lui-même pour tenter de comprendre ces symptômes (pourquoi il prend mal le sein, par exemple), et on va pouvoir aussi s’intéresser à la relation de la mère et de son enfant, à savoir si « l’accordage » mère-enfant se met en place harmonieusement, ou si, à cet endroit, il y a des difficultés, des blocages. Cette relation est le réceptacle du type d’attachement de la mère elle-même, de son histoire affective. Il est intéressant, dans le cadre d’un soutien psychothérapeutique, de regarder comment se manifeste ce lien actuel. Et de permettre un espace d’exploration pour les jeunes mères de leur propre histoire, de celle de leur liens. Comment les angoisses, les difficultés se manifestent-elle? Parfois, ces manifestations viennent témoigner de traumatismes restés « béants », et non conscientisés, transmis de générations en générations de mères. La mémoire cellulaire n’est pas consciente, et elle peut se manifester de façon corporelle est émotionnelle, tout particulièrement à ce moment critique de l’arrivée d’un nouveau-né.