Changer pour…devenir soi. La théorie paradoxale du changement
Quand on entreprend une psychothérapie, on est en attente de changement : changer sa vie, ses relations, ou ses comportements pour se sentir mieux. Un mieux-être qui va être atteint, paradoxalement, non par la transformation de ce que l’on est, mais au contraire par le fait de devenir soi-même. C’est le concept mis au jour par Arnold Beisser, psychiatre et gestalt thérapeute américain, auteur de la théorie paradoxale du changement, qui nous dit que le changement apparaît lorsque le sujet devient ce qu’il est, non lorsqu’il essaie de se changer ». Reste encore à définir ce qu’est être soi-même.
Etre soi-même, c’est se rapprocher de son ressenti
C’est ce que nous dit la pensée orientale, qui met davantage l’accent sur l’attention au ressenti plutôt que sur le mental. C’est aussi ce que nous dit la gestalt-thérapie, alors que ses fondateurs, contemporains de Freud, se sont écartés de la ligne psychanalytique notamment en terme de la conception de la santé et de la pathologie. Comme le dit Vincent Beja dans son article » Identité ipséité« , « L’identité d’une personne saine consisterait ainsi à accepter, à adhérer à ses mouvements (désirs, émotions, intentions, besoins) propres« . Le travail en psychothérapie consisterait donc, dans cette approche, à permettre aux personnes de contacter leur ressentis, émotions, besoins, désirs, afin, déjà, d’en prendre, conscience, et d’observer de quels façons ils sont vécus « authentiquement », ou pas. Ce travail de revenir à son expérience propre et première, dénudée des obligations, croyances, traumatismes et autres perturbateurs qui nous coupent de nos vécus et nous font privilégier la voie du mental peut souvent constituer un important chantier de la thérapie, débloquer des situations, créer du mouvement, des prise de consciences, et des décisions. L’accompagnement du thérapeute se fera toujours avec l’exigence de ne pas orienter, interpréter, emmener, ou provoquer une quelconque émotion ou mouvement chez le patient, mais au contraire de laisser émerger ce qui doit. Nous sommes dans une démarche qui est celle de l’accouchement : nous assistons, soutenons par une présence engagée mais le chemin pour se trouver soi-même ne peut passer que par le patient lui-même.
Etre soi-même n’est pas synonyme d’individualisme (bien au contraire)
En Gestalt-thérapie, nous considérons que mon rapport avec mon environnement qui me définit, que je ne suis pas un psychisme isolé sur une île déserte qui pourrait s’analyser. L’autre, les autres, la société, la nature, le sol sur lequel je marche, ou l’eau dans laquelle je nage, me fait exister de manière différente, selon comment je suis en lien, et avec qui. Une pensée qui rejoint celle de pédiatre et psychanalyste Winicott anglais du XXème siècle, qui fait partie des figures du domaine du développement de l’enfant. C’est lui qui a mis a jour la prépondérance du lien avec la mère dans la constitution de l’identité du bébé, la mère (ou la personne en charge) représentant alors l’environnement entier du nouveau-né. Nous nous créons dans le regard de l’autre et le bébé va se constituer en tant qu’être, dans le regard de sa mère.
L’importance de la relation nous apparaît, finalement, assez souvent dans notre quotidien : même si nous nous définissons d’une façon certaine (« Je suis introverti »), nous voyons bien que selon les personnes avec qui nous sommes en contact, nous pouvons nous ressentir différemment.
C’est le parti pris des thérapies relationnelles dont fait partie la gestalt-thérapie : travailler à partir de la relation qui se crée avec le thérapeute comme expérience qui vient renforcer, soutenir, les expériences futures à l’extérieur du cabinet. Penser en ces termes, c’est aussi pouvoir être soutenu pour bénéficier de tout ce que le lien, la relation peut apporter de nouveau (me permettre de me considérer différemment que selon mes croyances, par exemple).
Etre soi-même n’est jamais définitif (et tant mieux)
Bonne ou mauvaise nouvelle : être ou devenir soi, dans cette perspective, n’est jamais acquis. Chaque instant, notre environnement est changeant, et nous offre de quoi changer avec lui. Je suis une personne unique en cet instant avec cette personne dans cette situation, et cela ne se reproduira jamais exactement de la même façon. En psychothérapie, cela est une bonne nouvelle dans le sens ou cette donnée permet de prendre en compte les possibilités d’évolution de notre être, instant par instant. La répétition exacte n’existe pas, permettant de sortir de cette peur bien répandue de « reproduire » des comportements. La pathologie serait alors d’être figé dans l’immobilisme et une conception de soi immobile. Le travail en thérapie va consister en l’appréhension, par l’expérience, de cette liberté de choix sans cesse renouvelée (et donc de cette responsabilité qui nous incombe). Etre-soi même, dans cette perspective, revient à dire que ce sont nos choix qui nous définissent.