L’approche transgénérationnelle: libérer le passé pour aller mieux au présent

Psychogénéalogie, psychanalyse transgénérationnelle, mémoire cellulaire... autant de termes qui évoquent le champ de nos ancêtres. Et qui pourraient faire penser à une démarche thérapeutique passéiste, porteuse des lourdeurs des générations passées.

Deborah de l'Espinay blog

En réalité, l’approche transgénérationnelle au contraire, vise à alléger notre existence actuelle. De fait, l’analyse transgénérationnelle soutient le fait que nous portons, bien souvent à notre insu, les bagages non « digérés » de nos ancêtres. Les explorer et les reconnaître serait alors une façon de mieux pouvoir s’en détacher. Pour mieux se libérer de mémoires, de vécus passés par les générations précédentes, qui nous encombrent aujourd’hui. Et alléger les générations futures.

L’approche transgénérationnelle s’intéresse à ce qui se transmet de parent à enfant. Nos parents, s’ils nous transmettent en nous donnant la vie un patrimoine génétique, issu de leurs propres ancêtres, nous transmettent également une histoire. Cette histoire c’est la leur, et c’est aussi celle de leurs aïeux. Elle est constituée d’éléments conscients, comme l’appartenance à une culture, qui se transmet officiellement aux descendants, l’appartenance à une époque, le vécu d’évènements précis qui ont marqué la lignée, comme une émigration, par exemple. Mais, lorsque des vécus ont été trop traumatiques, trop violents pour être intégrés à l’histoire familiale, alors il passent dans le registre du « non su ». Et pour autant, il ne disparaissent pas. Au contraire, ils se chargent en poids émotionnel, en se cristallisant dans une mémoire inaccessible. Ces éléments inconscients, parce qu’ils n’ont pu être assimilés par les générations précédentes, se transmettent sous la forme de « non dits », de secrets, voire d’éléments qui n’ont même pas pu advenir à la conscience, tellement leur charge émotionnelle était forte. Cela va se produire également dans le cas d’un traumatisme ancien, qui, s’il est « su » à une génération, en se transmettant, va perdre sa forme et sa lisibilité pour les générations suivantes. Pour autant, la charge affective et émotionnelle peut tout autant être intense.

Anne-Marie Ancelin Shcutzenberger, psychologue figurant parmi les figures de proue en recherche en psychogénéalogie, rapporte dans son livre fondateur en la matière, Aïe mes Aieux, de nombreux exemples d’histoires familiales se répétant, de générations en génération assez spectaculaires, avec des drames familiaux se reproduisant à des dates anniversaires, par exemple.

Le traumatisme transgénérationnel est une matière qui peut se transformer, au fil des générations, de façon à apparaître crypté aux générations actuelles. Ces dernières vont pouvoir attester d’un mal-être, de difficultés, sans pour autant pouvoir recréer de fil conducteur avec l’histoire de leurs ancêtres. Et pour cause, les fils conscients ont été rompus. C’est la thèse des psychanalystes et chercheurs du milieu du XXème siècle Nicolas Abraham et Maria Torok. Ces derniers décrivent ainsi le chemin d’un traumatisme sur trois générations, et, pour montrer sa transformation au fil des transmissions, utilisent les termes de « indicible », « innommable », « impensable », montrant ainsi qu’en perdant en réalité, il peut néanmoins, dans sa forme inconsciente, en conserver des éléments de l’intensité.

A la première génération, le traumatisme est « indicible ». Le porteur ne veut pas en parler, le traumatisme étant trop fort, il est dans le déni ou dans l’oubli, l’amnésie, afin de survivre.

A la seconde génération, ce traumatisme qui a été caché par son porteur est ressenti par son enfant sous une forme qu’il ne peut nommer, décrire. Il « ressent » que quelque chose de traumatique est présent, dans le climat familial, mais il est dans l’incapacité de trouver les mots justes pour décrire cette forme. Le traumatisme est devenu « innommable ». Comme si le silence de la génération précédente, porteuse du vécu, ajoutait encore de l’intensité à ce vécu non assimilé.

A la troisième génération, ces résidus traumatiques, puisqu’ils ne sont pas assimilés, survivent de façon encore plus informe. Il n’est même plus question de ne savoir dire, il est question de ne plus pouvoir penser, concevoir ce traumatisme. Il est passé au registre de l »impensable ». Et pourtant, il est toujours agissant dans l’inconscient. Le descendant se sentira traversé par des émotions, des ressentis qui peuvent lui sembler étranges, et qui ne peuvent s’expliquer par la réalité de ce qu’il vit. Ainsi, ce traumatisme (mort prématurée, inceste, homosexualité cachée, génocide, meurtre…) transformé au fil des générations va créer ce que Abraham et Torok vont appeler un « fantôme » psychique, parce qu’il vient « hanter » les générations suivantes.

Car c’est bien la problématique du traumatisme : le fait qu’un événement ne puisse être assimilé, et, bien qu’il appartienne au passé, soit encore ressenti au présent de façon très forte. On est toujours dans la sidération, bien que l’événement soit révolu.

Les traumatismes transgénérationnels, et dans une moindre mesure les mémoires difficiles qui ont traversé les générations se manifestent, à la génération actuelle, d’une façon cachée, inconsciente. Et pour autant peuvent se révéler très présents dans leurs symptômes. Lorsqu’une personne rencontre des difficultés psychiques, la piste transgénérationnelle est intéressante à prendre en compte. Et cela sans forcément remonter à des générations lointaines : déjà remonter à l’histoire de nos parents peut nous apprendre beaucoup sur nos comportements, notre histoire. Sachant qu’eux-même, ont été influencés par celles de leurs propres parents.

Des éléments inconscients pourraient donc se transmettre de générations en générations. Et la recherche scientifique avance aussi dans ce sens. Une thèse qui rejoint les récentes avancées des neurosciences et notamment avec la voie de l’épigénétique, qui nous dit que « les gènes, que l’on croyait supports uniques de l’hérédité, ne sont pas seuls en cause dans la transmission de certaines caractéristiques, sensibilités, maladies ou comportements liés à des traumatismes subis par ses parents, grands-parents et même arrière-grands-parents« , selon Isabelle Mansuy, professeure de neuroépigénétique, interrogée par la revue Cairn.info1